Et si les satellites surveillaient les émissions CO2 et la déforestation ?

Des satellites sont utilisés pour surveiller les émissions CO2 et de méthane, mais aussi la déforestation et la pollution de l'eau. Comment fonctionnent-ils exactement ? Et quels impacts peuvent-ils avoir sur la condamnation des crimes environnementaux ?

Suivre l’évolution du réchauffement climatique, ou la destruction de la biodiversité, ne se fait pas par magie : les scientifiques doivent suivre de nombreux facteurs (comme la concentration de CO2 dans l'atmosphère par exemple) sur une grande période de temps, et surtout sur de très grandes zones. Potentiellement, la planète entière.

Et pour faire ce travail, les satellites peuvent être d'une grande aide. Ces objets en orbite peuvent prendre des photos de la surface de la Terre, mesurer des éléments de l'atmosphère… et même repérer des événements majeurs comme la destruction d’une forêt ou un méga-feu.

Les satelittes qui surveillent les émissions de gaz à effet de serre 

Surveiller le CO2

Microcarb est un (petit) satellite d’observation qui devrait voler à partir de fin 2024. Pendant 5 ans, il va orbiter autour de la Terre pour cartographier la concentration du CO2, l'un des principaux gaz à effet de serre responsables du changement climatique, dans l’atmosphère.

"Il existe déjà, dans certains pays, des stations au sol qui mesurent le CO2, mais le besoin est de couvrir régulièrement l’ensemble de la Terre, explique Philippe Landiech, chef du projet Microcarb au CNES. Le satellite va arpenter toute la surface de la planète, il sera capable de repérer les zones qui émettent du CO2, ou celles qui en absorbent, avec beaucoup de précision. Et aussi voir comment cette concentration du CO2 dans l’atmosphère évolue au cours du temps."

Les données du satellite Microcarb seront en accès libre, ouvertes au monde entier. Des entreprises pourront donc les retravailler pour en tirer des enseignements à transmettre au grand public ou développer des applications. 

Surveiller le méthane

D’autres, comme l’entreprise Kayrros, n'opèrent pas leurs propres satellites, mais analysent les données déjà fournies par des satellites publics (comme ceux de Copernicus, la NASA…) et/ou privés. L’entreprise utilise ces images, et, selon ce qu’elle cherche, va les analyser avec un algorithme entraîné à repérer certains éléments dans une image, et grâce à sa puissance de calcul, il va pouvoir traiter énormément d’images.

Aujourd’hui, Kayrros est capable de détecter la concentration en méthane dans l’atmosphère à partir de cartes infrarouge de la Terre.

"On procède en 2 étapes, explique Marion Messador, product manager chez Kayrros. D’abord, on détecte un 'événement' : une concentration en méthane au-dessus d’un certain niveau dans une zone." L’entreprise cherche ensuite à attribuer cet événement (qui émet tout ce méthane ?). Pour ce faire, elle analyse à une échelle très fine, parfois à 10 mètres près, les émissions de méthane pour repérer d’où elles viennent.

Cette analyse sur des images satellites leur permet de détecter, chaque année, 1200 grosses fuites de méthane, une "grosses fuite" qualifiant un rejet d'au moins 1 tonne de méthane  par heure dans l’atmosphère.

Kayrros est une entreprise privée, donc elle transmet ces informations à ses clients, qui paient pour les recevoir. Mais parfois, cela va un peu plus loin.

"On est capables de vérifier ce qui est dit par les entreprises, les acteurs politiques. Les médias se servent parfois de nos résultats pour mener l’enquête", ajoute Marion Messador. Le média américain Bloomberg s’est appuyé sur les données de Kayrros pour révéler une grosse fuite de méthane au Canada, et dénoncer le manque d’ambition climatique du pays.

The Guardian a aussi utilisé leurs données pour révéler d’énormes fuites de méthane au Turkménistan. Dans ce cas, c’est même allé plus loin : une fois l’information révélée, le pays a annoncé en juin dernier vouloir rejoindre un accord mondial sur le méthane. Cet accord prévoit de réduire les émissions de méthane d’ici 2030 de 30%.

Les satellites qui surveillent la déforestation

Kayrros utilise aussi les images satellites pour suivre la déforestation, surtout dans les zones tropicales (Amazonie, Afrique, Asie du sud-est). Même procédé que pour le méthane Marion Messador : "À l’échelle mondiale, on est capable de mesurer la présence de la forêt, mais aussi sa hauteur, sa densité, combien de CO2 elle absorbe… et repérer d’éventuels changements au fil du temps."

Depuis début 2023, au Brésil, l’entreprise a ainsi détecté la disparition de 680 000 hectares de forêt amazonienne. Elle a co-fondé, avec l’INRAE et le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, le projet Biomass Carbon Monitor qui permet de suivre, à l’échelle mondiale ou pays par pays, quelle quantité de CO2 est stockée par la biomasse végétale mondiale, en utilisant les données du satellite SMOS lancé par l’Agence Spatiale Européenne.

Autre exemple : au Brésil, le gouvernement a lancé en 1998 un système de collecte de données sur la forêt tropicale, basé sur les observations de 2 satellites. Ces données sont publiques depuis 2002. La nouvelle version du système permet de surveiller la déforestation quasi en temps réel, et même d'envoyer des "alertes déforestation" aux agents de l'Institut national de recherche spatiale du Brésil.

Les satelittes qui surveillent la pollution de l’eau

L’Agence européenne de sécurité maritime a créé CleanSeaNet, un système de surveillance par satellite capable de détecter et suivre l’évolution des marées noires en Europe.

Concrètement, ces satellites vont mesurer la manière dont la surface de la mer va renvoyer un signal → si la mer contient un produit gras/huileux, elle va réfléchir le signal d’une certaine manière et ainsi révéler une pollution de l’eau. L’Agence européenne de sécurité maritime analyse ces données quasi en temps réel et les transmet aux États européens. Chaque jour, en moyenne, les eaux européennes sont polluées par l’équivalent de 6000 terrains de foot d’huile minérale (un mélange de différents produits issus de la distillation de certaines énergies fossiles, comme le pétrole et le charbon).

Cette surveillance a un effet dissuasif : les pollueurs sont moins tentés de déverser des substances en mer s'ils savent qu'ils sont surveillés. Elle peut fournir des preuves dans le cadre de procès.

Une première affaire devant les tribunaux en France ?

En janvier 2022, au cap de la Hève (à côté du Havre), un satellite de CleanSeaNet détecte une pollution à l’huile dans les eaux françaises. L’Agence européenne de sécurité maritime envoie une alerte.

"Il n’y a pas immédiatement de navire à proximité de la nappe de pollution, explique Cristina Barreau, chargée de projet déchets marins chez Surfrider Foundation Europe. L’EMSA vérifie donc quels sont les gros navires autour de la nappe, leurs trajectoires, pour déterminer si un bateau pourrait correspondre à cette pollution."

Après analyse, un navire a été identifié comme potentiel responsable de la pollution, et se retrouve aujourd’hui devant les tribunaux. "C’est la première fois en France qu’on engage des poursuites en se basant sur les détections satellite. Alors que les États européens reçoivent pourtant des centaines de détections de pollution chaque année."

Ailleurs en Europe, au Royaume-Uni, le tanker Maersk Kiera a déjà été condamné à une amende de 22 500 livres sterling pour pollution en 2013. Un satellite avait détecté une pollution des eaux britanniques dans son sillage. « On pousse depuis des années pour aller plus loin, ajoute Cristina Barreau. Même si l’affaire n’aboutit pas sur une condamnation, elle va peut-être permettre aux détections satellite d’être plus acceptées comme preuves."

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